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Après le closing

19 May 2016

Contrôle et obligations post-acquisition dans les transactions franco-britanniques

Contrôle et obligations post-acquisition dans les transactions franco-britanniques.

Après le marathon de la négociation des contrats d'acquisition et le stress du closing, il est bien compréhensible que les acquéreurs français poussent un soupir collectif de soulagement et retournent aux tâches dont l'intensité du processus d'acquisition les a peut-être détournés, laissant dans un premier temps à leurs managers britanniques la responsabilité de l'activité au jour le jour de leur nouvelle filiale.

Nous conseillons des sociétés françaises dans le cadre de leurs acquisitions au Royaume Uni depuis plus de 20 ans: l'expérience démontre que, loin d'être une période où l'on peut relâcher la pression, l'attitude de l'acquéreur pendant l'année qui suit l'acquisition détermine souvent le succès ou l'échec futur de l'intégration de la nouvelle filiale britannique au sein du groupe français.

En particulier il est essentiel:

  • d'établir clairement des lignes de contrôle et de supervision entre la société mère française et la filiale britannique et notamment d'assurer un contrôle complet du Board of Directors de la filiale et de l'assemblée générale d'actionnaires
  • que les dirigeants sociaux français comprennent la portée de leurs obligations et responsabilités aux seins des Boards of Directors britanniques ainsi que le rôle différent joué par les conseils d'administration en France et au Royaume Uni
  • qu'un audit juridique post-acquisition soit effectué avant l'expiration des warranties et indemnities contractuelles du contrat d'acquisition: cet audit montre que l'acquéreur maîtrise le processus et ne s'en laisse pas conter. Il révèle presque toujours au moins une garantie qui peut être mise en jeu et conduit à une réduction de prix.

Psychologiquement les acquéreurs français redoutent parfois que de telles mesures ne soient vues comme traduisant un manque de confiance envers les managers britanniques qui le plus souvent continuent à occuper leurs fonctions après l'acquisition: c'est une erreur. Tous les audits post-acquisitions que nous avons effectués se sont très bien passés.

Les britanniques respectent avant tout le professionnalisme. Le fait que le droit anglais ne reconnaisse pas d'obligation de bonne foi dans les relations commerciales ainsi que le fait que bien souvent ce soient eux qui aient conduit les négociations avec l'acquéreur rendent nécessaire la vigilance et une prise de contrôle claire et nette. Toute autre attitude est perçue comme de la faiblesse et mène régulièrement à des complications à l'avenir.

1. Contrôle du board et de l'assemblée générale

Board of directors

Le plus souvent la composition exacte du conseil d'administration (Board of Directors) est décidée à la dernière minute juste avant le closing (ou même juste après!).

Il est recommandé de conserver les directors britanniques déjà en place au sein du Board s'ils continuent à exercer des fonctions managériales post-acquisition car les Boards fonctionnent comme des comités de direction. Faire démissionner du Board les managers anglais c'est les protéger des conséquences de leurs actes (cf. plus loin): les fonctions de "directors" imposent des obligations strictes de bonne gestion, honnêteté et probité, beaucoup plus fortes que celles résultant d'un simple contrat de travail: ce ne sont pas des fonctions honorifiques mais managériales.

Pour s'assurer le contrôle du Board l'acquéreur se préoccupe le plus souvent de nommer un nombre de dirigeants supérieur à celui des directors en place et croit ainsi avoir réglé la question.

L'expérience montre que ceci est loin d'être suffisant pour assurer le contrôle et que la prise immédiate de quelques mesures simples peut éviter bien des problèmes futurs. En particulier:

  • les notifications de la tenue d'un board meeting sont (sauf clause contraire des statuts) très informelles et n'ont pas à être faites par écrit: il est donc recommandé de prévoir une obligation de notification écrite dans les statuts;
  • nos clients ont expérimenté à plusieurs reprises des scenarii où des réunions du conseil se sont tenues sans leur accord ni leur présence (quelque fois même sans qu'ils en aient été informés): il est vivement recommandé de prévoir dans les statuts (articles of association) que le quorum nécessite la présence d'au moins un director nommé par la société mère française de sorte que toute décision prise lors d'une réunion tenue en son absence soit invalide;
  • pour éviter des Boards trop volumineux, il est recommandé que les statuts prévoient des weighted votes c'est-à-dire que les directors représentant la société mère française aient automatiquement un vote de plus que les directors anglais présents quelque soit le nombre de directors présents à telle ou telle réunion. Ainsi si un director français et trois directors anglais sont présents à un board meeting, le "français" aura 4 votes; mais s'ils ne sont que deux directors locaux, il aura trois votes et ainsi de suite;
  • il est recommandé de prévoir que le chairman du Board  est toujours l'un des dirigeants nommés par la mère française et qu'il a un casting vote (vote départiteur).

En cas de désaccord ultérieur – toujours possible – ces mesures simples et peu coûteuses à mettre en place, évitent bien des complications. Surtout s'il a également été prévu que le rôle de company secretary soit dévolu à un membre de la société mère. Loin d'être une simple formalité, ce rôle permet d'être informé de tout changement important: nomination ou démission de dirigeants, changement de capital social, changement de siège social, changement de dénomination sociale, changement d'actionnaires, etc. Une fois que les formulaires constatant ces changements ont été déposés au Registre des Sociétés (Companies House), il est très difficile de revenir en arrière – l'un de nos clients l'a découvert à ses dépens dans le cas où une augmentation de capital avait été décidée par le management anglais et enregistrée par eux au Registre des Sociétés.

Shareholders meetings (AG)

Si certains des managers sont actionnaires, là encore il est essentiel de s'assurer qu'une assemblée générale ne peut pas se tenir sans la présence de l'actionnaire majoritaire. Il faut donc fixer le quorum en conséquence car les décisions sont prises à la majorité des actionnaires présents et votants.

De plus un vote se tient d'abord normalement sur un simple show of hands (à main levée) et dans ce cas chaque actionnaire présent a un vote (quelque soit le nombre d'actions qu'il détient). Il est possible après un vote sur show of hands de demander un vote sur poll (où les votes sont comptés par rapport au nombre d'actions détenues par les actionnaires votants ou représentés par un proxy) mais encore faut-il être présent pour le demander!

Par conséquent un petit nombre d'actionnaires minoritaires pourraient avoir une majorité suffisante pour passer une résolution même lorsque celle-ci requiert au moins 75% des voix.

L'idéal est de prévoir que les actions des minoritaires – souvent soumises à des options/valorisations de type earnout – sont dépourvues de droit de vote. Mais cela n'est pas toujours acceptable dans le contexte de la négociation.

Il est également prudent de s'assurer que toute émission de capital relève du seul pouvoir des actionnaires majoritaires: les statuts britanniques donnent fréquemment ce pouvoir au Board pour les sociétés avec une seule catégorie d’actions.

2. Obligations Des Dirigeants Sociaux

Le Companies Act 2006 prévoit sept obligations spécifiques des directors. Le non respect de ces obligations peut entraîner la responsabilité personnelle pénale ou civile du dirigeant. A titre liminaire, il convient de préciser que ces obligations ne sont bien entendu pas exclusives et que le Companies Act 2006 a mis l’accent sur le fait qu’elles sont dues à la société en tant que personne morale et non aux actionnaires de celle-ci.

Depuis l’entrée en vigueur du Companies Act 2006, les actionnaires peuvent désormais intenter une action contre les dirigeants en agissant au nom et pour le compte de la société et en invoquant la violation d’une obligation imposée au dirigeant. Ces actions constituent des "derivatives actions" et sont soumises à l’approbation des tribunaux qui peuvent les annuler si elles ont été engagées de mauvaise foi. L’action devant être intentée dans le seul intérêt de la société.

(i) - Obligation de promouvoir le succès de la société

De toutes ces obligations, celle qui est la plus fondamentale est l’obligation pour un dirigeant de promouvoir le succès de la société. Par conséquent voter une mesure dans l'intérêt de l'actionnaire majoritaire mais contraire aux intérêts de la filiale placerait le dirigeant dans une situation de conflit d'intérêt et de violation de ses obligations en tant que dirigeant de la filiale.

D’autres facteurs pourraient être pris en considération. Mais ces facteurs ne sont que subsidiaires au devoir principal: ce qui doit primer c'est de promouvoir le succès de la société même si cela était  au détriment d'autres facteurs,  par exemple l'intérêt des employés.

(ii) - Obligation d’agir dans le cadre de ses fonctions de dirigeant

Le dirigeant peut engager la société sur sa seule signature. Il ne doit pas excéder les pouvoirs qui lui sont conférés par les statuts de la société, les décisions d’assemblées générales prises en conformité avec les statuts ou toutes décisions considérées par la loi comme équivalentes à celles émanant de la société.  De plus, il doit utiliser ses pouvoirs dans un but légitime. Il est donc recommandé de définir dans les statuts les décisions qui ne peuvent pas être prises sans approbation du board.

(iii) - Obligation d’exercer ses fonctions en toute indépendance

Le dirigeant d’une société doit être indépendant, notamment dans la prise de décision, toujours dans le respect des statuts et des décisions de la société. Il doit le cas échéant avoir recours à des conseils dans les domaines où il n'a pas les compétences nécessaires. Il doit également prendre en compte les contrats qui lient la société dans l’exercice de son jugement.

(iv) - Obligation d’agir dans l’exercice de ses fonctions avec compétence, soin nécessaire et diligence

Le dirigeant doit exercer ses attributions avec la compétence, le soin, la diligence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente dotée des mêmes capacités et ayant les mêmes fonctions que le dirigeant, il s’agit là d’une analyse objective. Cette obligation sera également appréciée en considération de la personne du dirigeant, il s’agira cette fois-ci d’une analyse subjective.

(v) Obligation d’éviter les conflits d’intérêts

Un dirigeant "doit éviter les situations dans lesquelles il a ou pourrait avoir un intérêt direct ou indirect qui pourrait être en conflit ou est en conflit avec les intérêts de la société."

Avant le Companies Act 2006, la seule possibilité pour le dirigeant de tirer avantage de sa position (par exemple dans le cadre d'un contrat entre la société et une autre société qu'il détient)  était d'obtenir l'accord des actionnaires par résolution ordinaire prise en assemblée générale.

Maintenant (sauf clause contraire dans les statuts)  ce sont désormais les dirigeants, le board of directors  (à l’exception des dirigeants concernés par le conflit), et non plus les actionnaires, qui peuvent autoriser le conflit d’intérêt existant. Une raison supplémentaire pour un acquéreur étranger de s'assurer le contrôle du Board. Des pratiques qui en France seraient traitées comme des abus de biens sociaux sont relativement courantes au RU dans les sociétés de taille moyenne où il n'est pas rare de trouver parmi les "employés" la famille des dirigeants et le jardinier du patron (voire même dans un cas la nanny en charge de ses enfants!).

Le devoir d’éviter les conflits d'intérêt continue à s’appliquer à la personne ayant cessé ses fonctions de dirigeant notamment en ce qui concerne l’exploitation d’un bien, d’une information ou d’une opportunité commerciale  dont il ou elle aurait eu connaissance lorsqu’il ou elle était dirigeant.

(vi) - Obligation de ne pas accepter d’avantages provenant d’un tiers dont il aurait bénéficié de par sa position de dirigeant

A l’inverse du conflit d’intérêt, le bénéfice ou l’avantage (par exemple un cadeau d'un fournisseur) ne peut être validé par une décision du board, hormis le cas où l’acceptation de ce bénéfice ne peut être raisonnablement vue comme pouvant donner lieu à un conflit d’intérêt et dès lors que les intérêts de la société elle-même ou de ses filiales ne sont pas concernés.

(vii) - Obligation pour le dirigeant de déclarer son intérêt dans une transaction ou une négociation proposée

Cet article 177 remplace l’« Equitable rule » selon laquelle, lorsqu’un dirigeant de société est directement ou indirectement intéressé dans une transaction ou une négociation proposée avec la société qu’il dirige, il doit déclarer la nature et l’étendue de son intérêt aux autres dirigeants.

Conclusion

En conclusion la responsabilité des dirigeants sociaux, membres du board of directors  est collective et comporte des obligations strictes.  Il est donc recommandé, particulièrement pour un acquéreur étranger dont la présence au sein de la filiale n'est pas toujours permanente, de mettre en place quelques protections juridiques simples qui en cas de désagréments ultérieurs lui assurent le contrôle de sa filiale britannique.  La vigilance n’exclut pas la confiance. Mais elle évite de possibles dérapages qui peuvent créer des situations irréversibles. Les relations entre équipes françaises et britanniques n'en seront que meilleures.

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